Ikea devant les juges pour avoir espionné ses salariés et candidats à l’embauche
Publié : 22 mars 2021 à 9h00 par Iris Mazzacurati
D'anciens dirigeants d'Ikea France mais aussi des policiers et le patron d'une société privée de surveillance, accusés d'avoir espionné des salariés de la filiale française du géant suédois de l'ameublement, se retrouveront à partir de lundi 22 mars sur le banc des prévenus du tribunal correctionnel de Versailles.
Révélée par le Canard Enchaîné et Mediapart en 2012, l'affaire avait éclatée après une plainte du syndicat FO avait ébranlé Ikea France, contrainte de licencier quatre hauts responsables.
L'instruction a ainsi dévoilé un système d'espionnage d'employés mais aussi de candidats à l'embauche, s'étendant sur l'ensemble du pays, d'Avignon à Reims, en passant par l'Ile-de-France.
Selon l'accusation, plusieurs centaines de personnes dont des syndicalistes ont ainsi été passées au crible, leurs antécédents judiciaires ou leur train de vie scrupuleusement examinés.
Mais pour certains avocats de la défense, l'enquête contient de nombreuses faiblesses. Me Olivier Baratelli, conseil de l'ancienne DRH Claire Héry, a indiqué qu'il plaiderait la nullité du dossier, dénonçant une "fable montée de toutes pièces par des syndicats".
Jusqu'à 3,75 millions d'euros d'amende
Dans ce procès qui doit durer jusqu'au 2 avril, la filiale française d'Ikea (10 000 salariés), poursuivie en tant que personne morale, encourt jusqu'à 3,75 millions d'euros d'amende.
Quinze personnes physiques seront également jugées dont des directeurs de magasins, des fonctionnaires de police, mais aussi l'ex-PDG Stefan Vanoverbeke (2010-2015) et son prédécesseur Jean-Louis Baillot.
Sollicité, l'avocat du premier n'a pas voulu s'exprimer. Celui du second, Me François Saint-Pierre, a assuré à l'AFP que son client serait présent à l'audience et "souhaitait s'expliquer devant le tribunal".
Face aux 74 parties civiles, les prévenus auront notamment à répondre des chefs de collecte et divulgation illicite d'informations personnelles, violation du secret professionnel ou encore de recel de ces délits, ce qui expose certains d'entre eux à une peine maximale de dix ans d'emprisonnement.
Une liste de personnes « à tester »
Si les prévenus comparaissent pour des faits couvrant la période 2009-2012, ces pratiques remontaient au début des années 2000, selon l'accusation.
Au cœur de ce "système", Jean-François Paris, ex-directeur de la gestion des risques d'Ikea France.
D'après l'ordonnance de l'instruction, M. Paris envoyait des listes de personnes "à tester" à des sociétés d'investigation privées auxquelles la filiale allouait un budget de 30 000 à 600 000 euros par an.
Ces listes, que l'ex-responsable assure avoir reçues de directeurs de magasins, étaient notamment adressées à Jean-Pierre Foures, dirigeant de la société en "conseil des affaires" Eirpace.
Un accès à une base de données de la police nationale
Jean-Pierre Foures est notamment accusé d'avoir eu recours au STIC (système de traitement des infractions constatées) pour se procurer ces données confidentielles, par l'entremise de policiers.
Les quatre fonctionnaires de police impliqués ont tous assuré lors de l'enquête n'avoir reçu aucune contrepartie financière. L'avocat de l'un d'entre eux, Me Hervé Lehman, a évoqué auprès de l'AFP une simple "imprudence".
Devant les enquêteurs, M. Paris s'est défendu d'avoir "fliqué" les personnels de l'entreprise, en assurant avoir suivi une consigne généralisée de Jean-Louis Baillot, des affirmations que l'ancien directeur conteste.
Balayant les accusations "d'espionnage" le conseil d'Ikea France, Me Emmanuel Daoud, évoque plutôt "des faiblesses organisationnelles" de l'entreprise et souligne, suite aux révélations par la presse, la mise en place du "plan d'action" adopté par l'entreprise en 2012 comportant notamment "une refonte totale du processus de recrutement à l'ouverture de nouveaux magasins".
(Avec AFP)